Aux Dervallières, des habitants terrorisés

Mi-janvier, le jeune Abdelghani mourait au pied d’un immeuble des Dervallières. Un groupe d’habitants de la rue ont appelé à l’aide sur les réseaux sociaux et notre groupe d’opposition a décidé d’aller à leur rencontre. Nous sommes donc allés trois samedis de suite à leur rencontre pour les entendre et réfléchir aux moyens de les aider.

Leur désespoir m’a touché en tant qu’élu municipal, bien sûr, horrifié de voir que la Ville de Nantes et le bailleur (Nantes métropole Habitat) préfèrent les laisser seuls face aux dealers plutôt que de prendre les mesures qui risqueraient de fragiliser leurs maigres certitudes sur la sécurité, pardon, la « tranquillité », sur le primat du social, sur la com’ politique pure.

L’ultraviolence à la « Narcos » se banalise à Nantes

impact de balle dans le hall d’un des immeubles que nous avons visités

Cette situation a eu un autre écho en moi. Elle m’a rappelé ce que j’ai vécu pendant 14 mois dans un bidonville argentin, le quartier Villa Hippodromo à Santa Fe, en tant que volontaire au début des années 2000. J’y ai découvert une violence typique des quartiers ultra pauvres des métropoles latino-américaines : échanges de coups de feux chaque nuit devant notre porte, crosses de pistolet qui font une bosse sous le T-shirt des jeunes qui ont succombé à l’attrait de l’argent facile, règlements de comptes mortels sur le trottoir d’en face, funérailles qui criaient vengeance contre la bande rivale.

C’était suffisamment éloigné de mon adolescence nantaise dans le quartier Zola pour que je ne puisse faire aucun parallèle entre Nantes et Santa Fe. C’était la violence tragique, mais c’était ailleurs, un ailleurs lointain.

Et puis, 20 ans plus tard, tout ces souvenirs rejaillissent en écoutant les habitants des Dervallières. La même peur de sortir de chez soi, les mêmes balles perdues, la même angoisse de traverser le groupe de jeunes défoncés au shit (ou à la colle, en Argentine), qui vous menacent, vous bousculent ou vous humilient en vous demandant d’attendre qu’ils aient compté leurs billets ou rangé leur marchandise, alors que votre petite fille de 3 voulait juste monter l’escalier en courant…

J’avoue que jamais je n’aurais pensé pouvoir comparer la réalité de Villa Hippodromo et celle d’un quartier nantais. Et pourtant, si l’on en croit le classement international Numbeo, Medellin (Colombie, fief historique de Pablo Escobar) est aujourd’hui mieux classée que Nantes sur le critère de l’insécurité !

Des femmes debout

Tour du quartier

L’autre évidence qui me frappe, c’est que lorsqu’un quartier sombre, ce sont d’abord les femmes qui résistent. Célibataires, mères ou grands-mères, elles refusent de quitter l’immeuble ou le quartier, comme le leur propose Nantes Métropole Habitat ; comme le souhaitent les dealers.

Quand elles nous ont emmenés faire le tour du quartier pour saisir l’ampleur des trafics à l’œuvre, elles marchaient la tête droite, décidées à montrer que les trafiquants n’ont pas gagné. Elles me faisaient là aussi penser aux « Veuves de Mai » qui ont réclamé pendant 30 ans leurs enfants à la dictature argentine. Elles forcent le respect. Elles ne lâchent rien, sans rien avoir d’autre à gagner que la possibilité de vivre en paix chez elles, dans un quartier qu’elles ont choisi et qui a tout pour être agréable.

Le « Forum de l’emploi » des trafiquants

On a aussi appris l’ampleur de l’impunité pour les trafiquants. Voici quelques jours, cinq grosses cylindrées immatriculées en région parisiennes se sont garées sur la place des Dervallières et des dizaines de jeunes se sont alignés sagement le long de la Maison de l’Emploi (!) pour se faire recruter par ceux qui n’étaient manifestement pas des agents de Pôle Emploi.

La Maison de l’Emploi, lieu de recrutement… des trafiquants !

Au vu et au su de tout le monde. Vous comprenez le problème : les trafiquants paradent car ils ont le sentiment d’être chez eux, d’avoir gagné la partie.

Force est de leur donner raison…

  • Quand le bailleur refuse d’expulser de façon proactive la « nourrice » qui ouvre la porte aux dealers et facilite leurs trafics, « ils » gagnent.
  • Quand les enfants et adolescents renoncent à aller en cours tellement la peur de traverser le hall les en empêchent, « ils » gagnent.
  • Quand les services de Nantes Métropole Habitat suggèrent aux habitants humiliés, menacés, de déménager, « ils » gagnent.
  • Quand la justice n’a pas les moyens d’enquêter, de juger tous les échelons de ces trafics et qu’ils reviennent dans le quartier sans passer par la case prison, en narguant les habitants, « ils » gagnent.

Alors que faire ?

Johanna Rolland invoque le caractère mondial des trafics pour expliquer son inaction. Nous refusons cette résignation qui revient à demander aux habitants de se débrouiller seuls dans leur face à face quotidien avec les trafiquants. Comment ne pas comprendre leur stupeur quand ils entendent le commissariat leur répondre que « la Police ne peut rien faire ». Mais qui peut agir, alors ?

Des collectifs d’habitants se structurent à Nantes, nous les soutiendrons.

Des villes et des bailleurs sociaux se montrent inventifs et courageux face aux trafics, nous nous en inspirerons.

Et s’il faut aller en justice, nous le ferons.

Foulques Chombart de Lauwe

Etiquettes : insécurité, nantes
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