Trafic de drogue à Nantes : l’étrange défaite

De Marc Bloch aux Dervallières

En juin 1940, l’historien Marc Bloch a su, dans L’étrange défaite, analyser à chaud l’impensable débâcle de l’armée française face à l’invasion allemande, organisée, mécanisée, jeune et redoutablement efficace, pariant sur la surprise. Il y décrit un état-major dépassé, des troupes désorganisées, mal équipées, des communications défaillantes, des fonctionnements en silos, une analyse tactique datant du premier conflit mondial…

En accompagnant la marche blanche organisée samedi à la mémoire du jeune Abdelghani, dit « Ranau », mort à 15 ans au pied de son immeuble des Dervallières, je pensais à Marc Bloch et à l’étrange défaite qui s’annonce à Nantes face aux trafics. N’est pas Marc Bloch qui veut mais on peut, on doit essayer, comme lui, de voir et d’analyser ce qui est en train de se passer sous nos yeux à Nantes, comme dans de nombreuses grandes villes, il faut le reconnaître.

Trafics à Nantes : « On en a marre »

La consommation de drogues explose, sous toutes ses formes : banalisation du shit, doses de cocaïnes vendues à 10 euros, opioïdes détournés, jeunes migrants qui tiennent le coup au Rivotril… Les réseaux de trafiquants mènent une véritable guerre de territoire partout dans la ville : dans le centre à Commerce pour la vente à la sauvette au vu et au su de tout le monde, dans les 23 « supermarchés de la drogue » parfaitement identifiés par les consommateurs, la police et les journalistes. On ne compte plus les articles de presse qui décrivent l’enfer que vivent les habitants des immeubles dont la cage d’escalier est privatisée, les locataires terrorisés, menacés, rackettés et pour finir, tués dans le pire des cas. Ce 11 janvier, Ranau sortait se promener. Des dealers avaient décidé de régler leurs comptes, rue Bertreux, précisément la rue de Ranau, qui voulait juste prendre l’air, semble-t-il.

Face à cela, on a une police qui se dit dépassée, une justice qui manque de moyens, et une municipalité résignée. Dans la foule samedi, lors de la marche blanche, le cri était « Justice pour Ranau », inlassablement répété. Oui, il faut la justice pour Ranau, même si elle sera difficile à rendre, la justice.

Et puis à un moment, les mères de familles ont hurlé « On en a marre ! On en a marre ! ». Le cri du cœur des Nantais pris en otage par les dealers, qui refusent de se résigner, eux.

Johanna Rolland doit changer de logiciel

L’Etat leur doit la protection, et la justice. Je ne reviendrai pas ici sur le besoin urgent de moyens pour cela. Comme Marc Bloch, j’observe l’étrange défaite nantaise. J’observe, médusé, l’apathie de la municipalité, son absence de réaction, en dehors des condoléances de circonstance. Johanna Rolland, qui a été élue sur une promesse de sécurité, est comme incapable d’actualiser le vieux logiciel socialiste face à une réalité qui appelle à un changement radical de méthode.

Je veux ici suggérer deux ou trois choses concrètes qui peuvent être faites pour protéger les Nantais les plus faibles, pris en otage par les trafiquants :

  • Dans l’immédiat, il faut exiger des patrouilles de CRS dans les rues où les fusillades ont eu lieu. Rue Bertreu, il y a eu deux nouvelles fusillades dans les trois jours qui ont suivi !
  • Il faut monter avec les bailleurs sociaux un groupement de sécurité inter-bailleurs, comme à Paris ou Toulouse, qui patrouillera dans les parties communes du parc de logement social (pas dans les halls déjà occupés ; c’est à la Police de les déloger), en coordination avec les patrouilles de Police (nationale et municipale) sur la chaussée.
  • Ensuite, la Ville doit décupler les efforts en matière de prévention et de sensibilisation à l’usage des drogues (et de l’alcool) auprès des jeunes et des utilisateurs, avec des témoignages d’anciens toxicomanes, d’usagers réguliers du cannabis qui ont décroché dans leurs études, leur vie professionnelle et personnelle. Nos contemporains sont très soucieux de traçabilité quand il s’agit de s’alimenter, beaucoup moins quand il s’agit de « s’éclater » ; seule l’éducation permettra de les pousser à se poser les bonnes questions avant de consommer des drogues dont le trafic tue et pourrit leur ville.

Et je ne cite que les mesures les plus immédiates qui s’imposent.

Vous voyez, on peut agir. Sans se renier.

Je conçois que le tour de vis sécuritaire coûte à Mme Rolland et sa majorité composite. Qu’ils le fassent à leur manière, en insistant sur la prévention, la proximité, l’éducation, avec des mots de gauche s’ils veulent, mais qu’ils le fassent ! Ce sera tout à leur honneur. Quand des vies sont en danger, l’idéologie n’est plus de mise.

Nous soutiendrons tout ce qui ira dans le sens de la protection des Nantais.

Foulques Chombart de Lauwe

Etiquettes : sécurité
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